BULLY

En tout cas Moustique m’avait choisi : chien de deux ans avec deux abandons (et deux noms qu’il ne connaissait pas !). Cerise sur le gâteau : il ressemblait à un berger allemand. A l’époque, j’avais une certaine dose d’inconscience, et c’était tant mieux ! Donc, après les démarches, Moustique, rebaptisé Bully, était adopté (enfin il a fallu attendre un délai d’un mois pendant lequel j’ai stressé car il y avait une possibilité que ces anciens propriétaires le récupèrent).

Pourquoi Bully : parce que c’était un Brutus fini, et que cela sonnait mieux que Brutus. Il y a néanmoins un côté un peu négatif au terme américain bully, mais je ne voyais que le fait que c’était un chien qui était haut en énergie et qui n’était pas d'une grande délicatesse ! Je n’ai pas compté le nombre de bleus durant nos échanges.

A deux ans, il ne connaissait rien de la vie, même pas ce qu’était un ballon ou de l’eau. Très certainement ces seules expériences étaient une cour fermée où au final, il n’avait rien vu de la vie. De plus, il avait été battu, car au mot « pose » la réaction de Bully ne laissait aucun doute sur le fait qu’il avait reçu des coups.

Comme tout chien traumatisé, il lui a fallu un temps d’adaptation et comprendre ce que j’attendais de lui. J’avoue que la première année a été un peu complexe car au final, je n’y connaissais rien et lui avait tout à découvrir comme un chiot … de 35 kilos avec une belle mâchoire et une furieuse envie de l’utiliser ! Je passe sur certaines destructions (et un amour pour les tuyaux d’arrosage) … Et même si cela fait un peu « vieux combattant », à l’époque les seules informations étaient les clubs canins ou les professionnels. C’était il y a trente ans (environ) et même si cela ne me rajeunit pas, c’était clairement une autre époque et d’autres méthodes d’éducation ! Surtout que je venais d’une famille, ou un chien se domine, et qu’il faut être le chef de meute (d’ailleurs cette notion de chef et de dominance est encore bine trop présente dans nos sociétés). C’était aussi l’époque des coups de colliers chainettes et du fait que la sanction primait sur la valorisation du chien. Un autre temps … mais j’ai eu un excellent professeur !

A la mort de Crazy, j’ai souhaité avoir mon propre chien pour pratiquer des sports canins.

Bien sûr, les deux conditions essentiels pour le choisir : il fallait que ce soit un Berger Allemand et un chien abandonné.

Donc me voilà avec un plan d’action : aller dans deux SPA et voir si je ne pouvais pas trouver un chien pour commencer l’aventure.

Direction la plus grande SPA de France, celle de Genevilliers ... pour une sacrée expérience. Aller dans ce type de SPA, où les chiens sont nombreux et qu’en plus certains vont être euthanasiés, est une expérience particulière. Après avoir vu toutes les cages, je m’étais mis en tête de visiter une deuxième SPA, pour trouver le chien qui allait partager des expériences avec moi. Et revenu chez moi, je n’avais qu’une image, celle de ce chien qui avait touché mon coeur. Des fois, nous disons que nous allons choisir un chien, mais je pense que ce sont certains chiens qui nous choisissent !

Peu de personnes ont cru en moi, et même le vétérinaire de l’époque m’a avoué plus tard qu’il ne pensait pas que j’y arriverais avec lui, car il avait très bien cerné la personnalité !

Bully était un chien qui venait très certainement d’un élevage connu pour ces lignées travail avec une grosse sélection sur le mordant. Et d’ailleurs il a eu l’occasion d’en faire un peu (avant que la loi discriminant les chiens dits « sans papier » surviennent). Et disons qu’il avait une passion pour le mordant, car il était clair qu’il avait été sélectionné pour cela. C’était un chien courageux, et la seule fois où je l’ai vu avoir peur, c’était quand une vache l’a chargé (et encore, après l’effet de surprise, il a vite repris ces esprits pour aller jouer avec elle). C’était typiquement le type de chien que les militaires recherchent, des chiens courageux mais peu conscients du danger !

Et donc assez rapidement, j’ai compris que, si j’allais dans la force physique, avec lui qui avait été tellement endurci, il aurait fallu que j’aille loin … très loin, et je n’étais pas capable de le faire. Donc me voilà parti pour un premier stage d’Obéissance, à l’autre bout de la France, pour apprendre à motiver les chiens. Car à l’époque sortir la récompense alimentaire n’était pas bien vu (et d’ailleurs, je ne compte pas le nombre de fois où les personnes ce sont fichus de ma pomme !).

A chaque stage, j’ai appris, et cela s’est souvent fait dans la douleur. Et je comprends maintenant combien cela a bousculé mes croyances inconscientes et ont façonné la personne que je suis actuellement. Mais il a fallu que je sorte du système de sanctions, au système de récompenses.

Si vous trouvez cela simple actuellement … et bien disons que pour ma part c’est un chemin de vie. Car toute notre société est finalement basé sur ce système de sanctions (et un tout petit peu de récompenses), et cela amène des modes de fonctionnement et des croyances dont il est difficile de se défaire. Ce chemin a commencé avec Bully, et se poursuit actuellement, car j’ai mis de la conscience sur tous ces mécanismes. Bully aura été la première marche de cette escalier, qui continue à me faire monter vers ce que j’aime pratiquer actuellement : les méthodes que je qualifie d'empathiques et bienveillantes. C'est bien plus qu'un système de sanctions/récompenses !

Et comme je suis un peu perfectionniste, cet escalier continuera de grandir et de me faire progresser sur cette voie. Car plus je comprends ces mécanismes et plus j’affine mes perceptions et mes exigences.

En pratiquant des sports canins, l’agility et l’obéissance, Bully m’a permis de comprendre à quel point la motivation est LA première étape, mais que c’est loin d’être suffisant pour établir une relation. Car, Bully, était un chien qui faisait les 400 coups en concours. Je ne comprenais pas, j’essayais de faire au mieux, mais en concours c’était la catastrophe (et des pitreries, il a su en faire). Et il m’a fais comprendre une chose essentielle (oui oui j’ai dû tout apprendre !) , qui peut se résumer ainsi : « y a-t-il un pilote dans l’avion ? ».

Un peu d’humour pour dire que pour « conduire » un chien dans un sport canin, il faut avoir un conducteur digne de ce nom. Et tant que je stressais et que je n’étais pas présente avec l’assurance d’un leader, il ne m’écoutait pas … je n’étais pas digne de lui. Pour moi, l’hypersensible (avec très certainement quelque trouble de l’attention), cela a été complexe d’arriver à cet état de présence et de concentration, indispensable pour faire des activités et en particulier de la compétition. Cela a été LA plus grande leçon que j’ai eu avec lui.

Malheureusement, j’ai eu Bully à 2 ans, et j’ai dû tout apprendre ! Au moment où je commençais à comprendre cette leçon, Bully est tombé gravement malade et a eu un lymphosarcome. Sa vie a été en jeu, puisque il était clairement en train de mourir quand je lui ai donné la première chimiothérapie (de la cortisone) pour soulager ses douleurs. Il se trouve que nous avons par la suite entamé une aventure exceptionnelle de deux ans et demi de soins. C’est une autre histoire, qui m’a énormément appris, sur ce que nous appelons les soins coopératifs actuellement, mais qui nous a empêché de poursuivre les sports canins.

Bully s’est éteint dans sa dixième année, et j’ai toujours regretté de ne pas avoir pu continuer avec lui, et surtout de ne pas avoir les connaissances actuelles pour pouvoir m’amuser avec lui. Mais comme beaucoup de berger allemand, le cancer a rythmé sa fin de vie. Autant j’adore les bergers allemands, pour leur caractère et leur mental (quand ils sont correctement sélectionnés), mais autant je déplore un physique plus que limite avec de nombreux soucis de santé de tout ordre d’ailleurs.

Bully aura été mon premier chien, avec un caractère exceptionnel. Il aura été celui qui m’a propulsé dans les sports canins, mais aussi dans les stages et formations, ainsi que dans le monde de l’Obedience (qui est clairement ma base de travail quand je démarre avec un chien).

Mais bien sûr nous avons aussi expérimenter pas mal de clowneries, car dès que je l’ai eu j’ai toujours aimé apprendre des tricks pour ne pas trop se prendre au sérieux !